Voeux de l'Ordre national des médecins
Publié le Vendredi 10 janvier 2020
Temps de lecture : 16 mn

Discours des vœux 2020 du Dr. Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins
Mesdames et Messieurs, Chères consœurs, chers confrères, et chers amis,
Je suis très heureux de vous présenter aujourd’hui les vœux du Conseil national de l’Ordre des médecins.
L’année 2019 a été ponctuée par de très nombreux évènements qui ont marqué le monde de la santé. La crise des hôpitaux perdure. Des médecins libéraux ont récemment décrété une grève des gardes. Les Français nous ont dit, et répété tout au long de l’année, leur attachement à notre système de santé.
2020 fait dès lors figure d’année charnière. Nous devons être, collectivement, à la hauteur des attentes des médecins, et de leurs patients. L’Ordre des médecins le sera.
Je ne compte pas mettre sous le boisseau les conclusions du rapport de la Cour des comptes sur la période 2011-2017. Je ne compte pas non plus ignorer les dysfonctionnements collectifs ou individuels quand il y en a eu et sur lesquels le Conseil national réuni en session en février 2020 aura à se prononcer. Je ne sous-estime pas les questions qu’il a pu soulever au cœur même de l’institution, chez nos partenaires et surtout chez les médecins, nos confrères qui attendent un Ordre à leurs côtés, dans leurs exercices, en lequel ils puissent placer leur confiance, car c’est ce pourquoi j’ai été élu en 2013 et réélu depuis : mettre en œuvre une réforme profonde de l’institution ordinale.
C’est parce que je n’en sous-estime pas l’impact que je tiens à réitérer ce soir, sur la base des actions que nous avons mises en œuvre depuis 2014 que nous contestons fermement un certain nombre d’affirmations contenues dans ce rapport.
- Contestation sur la forme, car nous avons eu le sentiment d’un contrôle à charge, durant lequel nous n’avons jamais été réellement écoutés, tant au niveau national que local.
- Contestation surtout sur le fond. Nous l’avons dit avec force à la Cour des comptes et nous le répétons ce soir.
- Contestation car nous avons été heurtés par le choix de la Cour d’ignorer les nombreuses missions que remplit l’Ordre aujourd’hui. Par la volonté de faire de l’Ordre le bouc émissaire d’échecs collectifs, sur des sujets où nous avons pourtant su être moteurs. Sur les relations médecin-industrie par exemple, ou sur le DPC. Je rappelle que nous ne faisons qu’appliquer la loi. Nous refusons sur ces sujets d’endosser seuls une responsabilité collective.
Tout cela, vous le comprendrez aisément, nous a profondément marqués. Mais nous estimons qu’il y a plus grave. Toute l’action que nous menons depuis plusieurs années pour moderniser l’Ordre des médecins a en effet été sciemment ignorée.
Cette action a pourtant des traductions tangibles.
- Nous avons refondu le règlement de trésorerie, pour encadrer strictement les régimes des indemnités et des remboursements de frais des élus. Les règles en la matière sont claires. Elles sont connues. Elles sont partagées par l’ensemble de notre institution.
- Nous avons instauré un dispositif contraignant de contrôle de la gestion des conseils départementaux et régionaux. Nous avons notamment prévu que puisse être mis en œuvre un régime de tutorat en cas de dérives avérées.
- Nous avons fait le choix d’élargir la composition de notre commission de contrôle des comptes. Celle-ci inclura à l’avenir des personnalités qualifiées extérieures à l’Ordre.
- Nous avons défini un dispositif de combinaison de l’ensemble des comptes de tous les conseils de l’Ordre, certifiée par un commissaire aux comptes.
De tout cela, aucune trace dans le rapport.
Cela ne nous écartera pas de notre route : poursuivre et intensifier cette modernisation. J’en veux pour preuve les nombreux travaux que nous avons d’ores et déjà engagés pour 2020.
Un groupe de travail a été créé, avec pour objectif de clarifier et d’harmoniser le traitement des signalements et des doléances par les conseils départementaux, pour que l’on soit encore mieux armé pour lutter contre des dérives de médecins qui bouleversent la profession comme la société.
L’harmonisation des dossiers ordinaux des médecins est également en cours, et doit permettre de simplifier le travail des conseils départementaux lorsqu’un médecin demande son inscription, notamment par la création de fiches récapitulant les grandes étapes de sa carrière.
Sur le refus de soins, une enquête auprès des conseils départementaux est en cours de conception, qui a pour objectif de quantifier un phénomène qui ne l’est pas encore suffisamment. Cela devra nous permettre de lutter plus efficacement, aux côtés de nos partenaires, contre des comportements dont je tiens à rappeler qu’ils sont inacceptables du point de vue déontologique.
Sur la permanence des soins, nous accompagnerons cette année notre enquête annuelle d’une étude sur la pertinence des maisons médicales de garde. Cela nous a paru important, à l’heure où la crise des urgences et les débats sur les numéros d’appel exigent que tous les acteurs concernés puissent fonder leur réflexion sur des éléments concrets, dans l’intérêt des patients. Là encore, l’Ordre illustrera son engagement au service de l’accès aux soins.
2020 verra également l’Ordre se réunir en Congrès. Ce sera l’occasion de travailler avec de très nombreux acteurs du monde de la santé. Une ouverture nécessaire, pour avancer ensemble sur des sujets fondamentaux : la santé et le numérique, la formation initiale et continue des médecins, le parcours du médicament et la liberté de prescription, par exemple.
Ces nombreux ateliers seront menés sous un thème central : l’accompagnement des médecins, tout au long de leur carrière.
Car nous sommes convaincus que l’Ordre doit être l’acteur référent de cet accompagnement, que les médecins demandent. L’exercice se complexifie. Les carrières ne sont plus aussi linéaires qu’elles ne l’ont été. Et l’Ordre doit être aux côtés des médecins dans ce contexte mouvant.
L’Ordre ne peut pas tout, bien entendu. Mais par nos partenariats solides, que je tiens à saluer, par la proximité permise par nos conseils départementaux, nous pourrons devenir un formidable agrégateur de toutes les énergies déployées au service des médecins.
C’est l’impulsion forte que nous souhaitons donner à notre action d’ici 2022.
Nous interrogerons bientôt l’ensemble des médecins sur le sujet, afin de mieux cerner leurs attentes en matière d’accompagnement dans leur parcours professionnel. Cette consultation large devra permettre la création de dispositifs concrets, que les médecins pourront aisément s’approprier pour répondre à leurs besoins. Ces outils s’adresseront à tous les médecins, aux jeunes comme aux plus âgés, aux libéraux comme aux hospitaliers.
Vous le voyez, 2020 sera une année où l’Ordre agira, comme nous n’avons cessé de le faire depuis 2013. Mon équipe et moi avons du temps pour agir. Et ce temps, croyez-moi, nous le mettrons à profit. Nous sommes, et je suis, plus que jamais déterminés à conduire à son terme cette modernisation de l’Ordre.
Je suis d’autant plus déterminé que l’Ordre est un acteur attendu, un acteur entendu, et que nous devons être à la hauteur de ces attentes et de cette écoute.
En effet, notre voix porte aujourd’hui. Parce que l’Ordre est la seule institution qui représente l’ensemble de la profession. Et grâce au travail que nous menons depuis 2013.
Cela a été le cas dans le cadre du projet de loi bioéthique. Nous avons été régulièrement auditionnés à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Nous poursuivrons ce travail de clarification et de conviction en 2020. Notamment lors de l’examen du texte par le Sénat. Nous resterons vigilants sur les sujets de la PMA, du traitement des données de santé, ou encore de l’interruption de grossesse pour raisons médicales, sujets sur lesquels nos amendements ont été adoptés par l’Assemblée nationale.
Il n’y a en effet pas d’éthique sans médecins, et pas de médecins sans éthique. Là est notre légitimité à s’exprimer, et nous avons su nous faire entendre sur des sujets sensibles.
Nous avons également été entendus sur la question des violences conjugales, qui nous bouleversent tous, sur laquelle nous sommes engagés depuis de nombreuses années.
Nous avons pleinement pris part au Grenelle sur les violences conjugales. Nous nous sommes inspirés de ce qui a été bâti et qui fonctionne notamment pour les mineurs. Nous avons largement consulté des médecins experts. J’ai pu rencontrer le Premier ministre, la ministre de la Santé, et la Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes.
C’est ce travail qui nous a amené à soutenir une évolution du Code pénal. Il instaure d’ores et déjà des dérogations permissives, auxquelles nous avons proposé d’ajouter la possibilité pour le médecin de procéder à un signalement auprès du procureur de la République dans les situations de danger vital et immédiat.
Nous travaillerons dans les mois à venir pour convaincre le législateur de l’importance de renforcer cet aménagement par la désignation d’un procureur de la République dédié aux violences conjugales dans chaque tribunal de grande instance.
Nous combattrons en parallèle la tentation de faire de cette possibilité ouverte aux médecins une obligation. Car c’est dans l’obligation que se logerait la rupture du secret médical, et la perte d’un lien précieux entre des médecins et des victimes qui n’osent souvent plus parler ailleurs que dans le cabinet de leur médecin.
Dans le cadre d’un site proposant des arrêts de travail, nous venons, avec la caisse nationale d’assurance maladie de mettre en œuvre une mise en demeure de fermeture du site et une saisine en référé de la justice. Par ailleurs, concernant le groupe privé Facebook « Le Divan des médecins » nous mettons en demeure le régulateur du groupe s’agissant du contrôle des contenus, et nous signalerons ces contenus au Procureur de la République.
Si j’ai choisi ces quatre exemples de l’intervention de l’Ordre dans la Cité, c’est pour illustrer la portée de notre parole.
Certains souhaiteraient nous contester ce droit à intervenir dans le débat. D’autres, au contraire, estiment que nous le faisons trop peu.
Je tiens à dire que l’Ordre des médecins ne s’exprime jamais à la légère. Nous le faisons lorsque nous sommes convaincus de la nécessité de prendre position sur des questions précises.
Nous le faisons pour faire entendre la voix des médecins et les principes déontologiques qui nous lient, quand cela est nécessaire.
Nul ne doute que nous serons de nouveau amenés à le faire en 2020. Et nous n’hésiterons jamais à le faire.
Car les défis que nous aurons à relever collectivement en 2020 sont nombreux. Les premiers effets de la loi Ma Santé 2022 tardent à se faire sentir, et les élections municipales pourraient voir la question de l’accès aux soins occuper une place importante dans la campagne électorale.
Face à ces défis, dans cette année charnière, l’Ordre jouera pleinement son rôle.
La santé s’est imposée comme un enjeu majeur du débat politique pour nos concitoyens. Un récent baromètre montrait que, pour 46% d’entre eux, il s’agit de l’axe prioritaire de l’action publique, devant l’emploi ou l’éducation.
Ils constatent en effet, partout en France, que la promesse républicaine d’un égal accès aux soins pour tous peine à être tenue. Cela est insupportable pour nos concitoyens, pour qui l’égalité n’est pas qu’un vain mot, mais une réelle aspiration qui mérite d’être défendue.
Les Français se tournent donc aujourd’hui vers leurs élus, et notamment vers les plus proches d’entre eux, leurs maires, pour exiger que l’accès aux soins soit préservé. Face à ces demandes, les maires n’ont malheureusement pas toujours de leviers d’action efficaces. Trop nombreux sont ceux qui ont succombé, encouragés par le Gouvernement précédent, au mirage de la maison de santé comme solution unique. A l’idée que construire des murs suffirait.
En 2020, l’Ordre des médecins, notamment au niveau de ses échelons de proximité, continuera de travailler aux côtés des maires pour les accompagner dans leur combat pour l’accès aux soins. Dès le mois de mars les conseils départementaux de l’Ordre se rapprocheront des maires élus. Car nous le disons depuis plusieurs années : seul le travail en commun de tous les acteurs de terrain peut permettre de faire naître des solutions pérennes pour l’accès aux soins.
Et l’Ordre joue pleinement sa part pour en faciliter la genèse. Nous avons mis en œuvre une modification de l’article 85 du code de déontologie facilitant l’exercice en sites multiples. Nous menons en ce moment une mission sur les remplacements, à la demande de la ministre de la Santé. Nous continuons d’appuyer, partout, les initiatives territoriales qui éclosent.
Je veux dire ce soir aux maires, et nous le dirons en mars aux nouveaux élus : l’Ordre des médecins est un allié de proximité dans leur combat pour l’accès aux soins. Notre organisation territoriale, notre connaissance du terrain, le permet. Il nous faut travailler ensemble, et l’Ordre ne sera jamais un obstacle à une initiative au service des patients et respectant la déontologie médicale.
Mais pour mieux accompagner ces initiatives locales nous devons continuer de contribuer à transformer l’architecture même de notre système de santé. Il faudra que 2020 permette au Gouvernement d’apporter les éclaircissements nécessaires à la loi Ma Santé 2022 pour qu’enfin ses effets se fassent ressentir sur le terrain.
L’accès aux soins était en effet au cœur de cette loi. Nul doute que les maires, comme tous les acteurs du monde de la santé, en attendaient beaucoup. Nous avions, lors des discussions autour de ce texte, souligné les avancées qu’il contenait.
Mais nous avions dans le même temps sonné l’alarme sur le flou trop important de nombreuses mesures. Sur le choix de recourir aux ordonnances pour des pans entiers de la réforme. Cela présentait un risque pour son appropriation par les acteurs concernés. Décréter la concertation ne veut pas dire véritablement concerter, et nous l’avions souligné à de nombreuses reprises.
Or, force est de constater que les effets de la loi tardent à se faire sentir aujourd’hui. Les professionnels de santé ont des difficultés à s’approprier les CPTS, dont les contours ne sont pas compris. Tout porte à croire aujourd’hui qu’au-delà des mots, la confiance accordée aux acteurs de terrain restera toute relative. Et que le règne des normes asphyxiant les professionnels de santé pourrait se poursuivre.
Et pourtant, je le répète, ce sont bien les acteurs de terrain qui sont les mieux à même de définir, ensemble, les territoires et les modes d’organisation pertinents pour renforcer l’accès aux soins.
Les hôpitaux de proximité, et leur articulation au sein du système hospitalier, ne sont pas davantage compris. Nos confrères hospitaliers attendent pourtant désespérément des éclaircissements sur ce que sera l’hôpital, et leur exercice, demain.
Le financement des hôpitaux par la tarification à l’acte génère bien des effets pervers, privilégiant une approche financière de la gestion des établissements plutôt qu’une approche éthique, centrée sur la pertinence des soins. Cela participe de la perte du lien ville-hôpital, qui est pourtant l’une des clefs de voûte de la transversalité des soins. Une transversalité plus forte est dans l’intérêt de tous, patients comme professionnels de santé.
La gouvernance des hôpitaux, déséquilibrée, mérite aussi toute notre attention dans sa réforme promise, dans un souci de rééquilibrage au profit des acteurs quotidiens du soin, médecins et équipes de soin.
La perception, partagée par nos concitoyens et notre communauté médicale, de la perte d’un système de santé d’exception, d’un gouffre croissant entre citoyens dans l’accès aux soins, doit nous exhorter à une politique volontariste. Ma Santé 2022 doit en être l’incarnation. Pour qu’elle le soit, 2020 devra être l’année des éclaircissements.
Sans ces éclaircissements, cette loi ne sera vite qu’une coquille vide, qui n’aura pas su changer les fondements de notre système de santé à bout de souffle.
Sans ces éclaircissements, nul doute qu’il nous faudra dès à présent commencer à travailler à une prochaine loi de santé, malgré les promesses que portait pourtant l’approche d’Agnès Buzyn.
Nous souhaitons à tout prix éviter cet échec. Nous n’avons plus le temps d’échouer. Il faut donc que le Gouvernement entende l’inquiétude des soignants. Et qu’il en tienne compte en apportant rapidement des réponses de fond.
Vous le voyez, les défis auxquels notre système de santé fait face restent entiers.
L’Ordre des médecins avait, dans les premiers, alerté sur les dangers d’une explosion programmée de notre système de santé. Nous restons pleinement mobilisés face à cette menace.
Mobilisés pour qu’advienne la réforme pour laquelle nous travaillons depuis plusieurs années.
Mobilisés pour accompagner les médecins et les acteurs locaux dans leur combat de terrain pour l’accès aux soins.
Mobilisés pour réformer sans relâche notre institution.
Grâce à ce travail, que nous poursuivrons en 2020, l’Ordre sera demain pleinement au service des médecins et des patients. Il les accompagnera dans leur exercice. Il les accompagnera à chaque étape de leur carrière.
Grâce à ce travail, l’Ordre continuera d’être un acteur du débat public. Sa voix y est importante. Elle le demeurera.
Grâce à ce travail, l’Ordre renforcera encore, demain, son rôle au côté des médecins, des professionnels de santé, des pouvoirs publics, des institutions, des élus et des patients, partout sur le territoire, dans la bataille pour l’accès aux soins.
C’est le sens du travail que nous avons mené depuis 2013. C’est le sens du travail que nous mènerons en 2020.
C’est le sens du travail que nous poursuivrons jusqu’en 2022.
A tous, chacun et chacune, je souhaite une bonne et heureuse année 2020.